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(Le Nouveau Quotidien 23. Mai 1996) |
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«Le gynécanalyste vieillissant (...) et la jeune femme qui depuis longtemps bouillonnait d'antiques destins féminine et de vies fémi nines qu'elle ne vivait cependant pas» vont ainsi se faire face le temps d’une consultation, dans l 'étrange cabinet tout de guingois où trônent sur les étagères des bocaux de formol contenant des é léments choisis de l'anatomie féminine, tandis que reposent plus haut, telles les Tables de la Loi, les volumes du professeur Popokoff, mentor du docteur Dreuf. Le décor et le thème posés, la patiente est invitée à s'allonger sur le divan et à exprimer verbalement ses visions, etc. Par quoi allait-elle commen-cer? Comment, se deman de-t-elle, les yeux grands ouverts fixés sur le plafond, «réussirait-elle, à décrire (...) ce drame sans fin de la vie, de la mort et de la survie qui brusquement avaient choisi son corps à elle pour y monter sa scè ne?» Elle y parvient cependant, et si merveilleuse-ment, avec un mélange de candeur, de passion et de douleur, que des person-nages féminins, inscrits en rouge sur les pages de l'Histoire, défilent les uns après les autres dans le petit cabi net dreufien: Eve au paradis, une sorcière brûlée vive, une nonne, une fillette violée dans une forêt, une femme enfermée dans un asile par son mari, une fiancée mouran te, une jeune fille, la Sybille, une jeune marquise portant une per ruque infestée de poux, une femme riche et rieuse, une femme accou chant dans un champ boueux d’un enfant indésiré... Tous ces personnages prennent littéralement vie sous les yeux effarés du docteur Dreuf, l'un d'eux manque même de peu de l'étrangler à mort! L'encre noire devient rouge, la plume fait. des pâtés et la main du docteur prend les initiatives les plus farfe lues, comme si «une force extérieure avait tenté de s'insinuer en lui au cours de l'analyse (...) pour le forcer à écrire tout autre chose que ce qu'il avait appris du grand Popo koff». Le plus insupportable pour lui étant de voir ressurgir de son propre passé les événements res ponsables de sa profession et de sa. misogynie. |
toujours d'une grande force suggestive, le roman de Mare Kandre opère de la manière la plus subtileles changements à vue qu'exigent ses différentes époques et ses différents personnages. Un geste, un bruit, un incident grotesques survenant dans lecabinet du docteur, et déjà une nouvelle situation, une nouvelle fiction dans la fiction initiale, nous entraîne dans ses meandres fantaisistes et dérangeants. «(...) sachez que je connais un nombre appréciable d'hommes bons, tendres, merveilleux, que j'estime et que j'aime (...) mais parfois je ne peux quand même pas m'empêcher de me demander ce qu'ils me veulent réellement, et qui ils sont vraiment!» dit la patiente sur la voix des aveux les plus difficiles a exprimer. Faites des enfants, ma petite demoiselle, consacrez-vous à votre famille, s'exclame le doc teur et oubliez tout ca! ROSE-MARIE PAGNARD «LA FEMME ET LE DOCTEUR DREUF» de Mare Kandre, traduit du suédois par Marc de Gouvenain et Lena Grumbach, Actes Sud.162 pages, 29 fr. 80. |
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